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H-France Review

H-France Review Vol. 5 (August 2005), No. 86

Thérèse Charmasson, Ed., Formation au travail, enseignement technique et apprentissage: Actes, 127e congrès du CTHS, Nancy, 15-20 avril 2002. Paris: Editions du CTHS, 2005. 300 pp. 22.00€ (pb). ISBN 2735505634.

Compte rendu par Nicolas Marty, Université de Perpignan-Via Domitia.


Le présent ouvrage est la publication du colloque "Formation au travail et enseignement technique" qui entrait dans le cadre du Congrès du Comité des travaux historiques et scientifiques (CTHS) de Nancy (2002) dont l'intitulé global était Le Travail et les hommes. Si l'histoire de l'enseignement technique et de l'apprentissage connaît un fort renouvellement depuis une vingtaine d'années [1], cet ouvrage, qui permet de traverser les frontières des spécialités que sont l'histoire du travail et l'histoire de l'éducation, apporte de nouvelles perspectives, notamment en insistant sur les articulations entre les différents échelons, qu'ils soient régionaux ou locaux et les différents acteurs (individus, écoles, organisations patronales diverses). Il se compose de vingt articles répartis en quatre parties, évoquant différents modes de formation au travail.

La première partie de l'ouvrage se propose de réfléchir sur la nature des rapports entre l'enseignement technique, les acteurs locaux et l'état, tout en mettant l'accent sur certaines personnalités dont l'influence a été forte, comme le Suisse Alfred Carrard (1889-1948) ou le Piémontais Don Giovanni Bosco (1815-1888). Chacun constate que le rôle des chefs d'établissement a été capital, notamment dans la liaison avec les milieux économiques qui intéressent directement les élèves pour leur recrutement postérieur, mais aussi la création de nouveaux enseignements et de nouvelles filières. Ainsi G. Bodé, dans "Le ministre, le préfet et le proviseur", à partir de plusieurs exemples pris dans toute la France entre 1800 et 1900, conclut-il que la logique entre l'échelle nationale et locale n'est pas forcément celle de l'affrontement ni d'un fonctionnement à sens unique du haut vers le bas. Il faudrait plutôt parler d'échange permanent où le local et le central s'influencent mutuellement. Les Ecoles Pratiques de Commerce et d'Industrie, étudiées par Ph. Marchand dans le cadre du département du Nord (1892-1940) sont une composante essentielle de l'enseignement technique et professionnel public français sur lequel on ne disposait pas encore de monographie. Leur développement dans la région tient surtout à la conjonction de la volonté des pouvoirs publics et du patronat, pour qui la présence de personnel qualifié est jugée comme indispensable au maintien des positions économiques.

La seconde partie du livre s'intéresse plus spécifiquement aux perspectives locales de l'enseignement technique, que ce soit à l'échelle de la ville ou à l'échelle départementale. Cet échantillon de cas permet de suivre l'évolution et l'importance de l'enseignement technique soit dans des villes fortements marquées par l'industrialisation, dans lesquelles les associations patronales et syndicales jouent un rôle majeur, comme la Société industrielle de Mulhouse, soit dans des départements où l'essentiel de l'industrie est contrôlée par l'Etat, comme pour la Corrèze et ses arsenaux. Ainsi pour Mulhouse, F. Ott peut-elle affirmer que l'Etat n'a pratiquement joué aucun rôle dans le développement de l'enseignement technique. Au contraire, H. Vène pour la Corrèze, explique combien le député maire joue un rôle majeur pour obtenir des créations d'écoles techniques, l'aspect politique l'emporte ici bien sûr sur l'aspect économique. Les articles soulignent l'importance de la loi Astier de 1919 qui permet de continuer l'apprentissage pratique sur le lieu de travail et de recevoir un enseignement théorique dans le cadre d'un établissement d'enseignement. Elle rend, entre autres, obligatoire les cours professionnels pour les apprentis de moins de 18 ans. V. Champeau analyse l'impact de cette loi sur le développement de l'enseignement technique à Nantes. Dotée au début du siècle d'une offre d'enseignement jugée satisfaisante, la loi permet toutefois l'aboutissement des tentatives d'avant-guerre de mise en place d'une école d'ingénieur, qui devient en 1920 l'institut polytechnique de l'Ouest (IPO). Dans le cas rouennais (A. Dibois), il s'avère que l'application de la loi Astier a largement favorisé les établissements privés, car l'état n'avait pas les moyens de faire face à de très nombreuses créations.

L'apprentissage et le travail des enfants font l'objet de la troisième partie de l'ouvrage, qui est axée autour de trois thèmes distincts. D'abord l'apprentissage dans le monde des métiers de la mer et de la construction navale. On y retrouve le différence déjà évoquée pour l'enseignement technique entre la Corrèze et Mulhouse : Toulon et ses arsenaux sont liés à des emplois publics de la marine de guerre et à ses constructeurs (Y. Le Gallo) ; la Chambre de commerce de Marseille étant beaucoup plus tournée vers la satisfaction des besoins des activités industrielles et portuaires de la ville, se trouve en situation d'éternelle solliciteuse auprès des pouvoirs publics (B. Régaudiat). L'analyse passe ensuite par une étude sociologique de l'apprentissage des métiers artisanaux (S. Ramé). Celle-ci montre la coupure importante qui peut exister entre les enfants inscrits dans un processus de reproduction sociale ou ceux qui sont tout à fait nouveaux dans le métiers. Leurs attentes et les résultats de l'apprentissage sont très différents selon qu'ils appartiennent à l' un ou l'autre groupe. Enfin, trois communications s'arrêtent sur le travail des enfants. J-L. Escudier examine d'abord le travail et la formation des enfants dans les mines françaises. Après avoir évalué la démographie enfantine dans les mines, notamment par l'utilisation des statistiques d'accident du travail, il insiste sur la formation du jeune ouvrier. Celle-ci s'avère seulement reposer sur l'instruction élémentaire de l'enfant puis se développe, plus tardivement, pour devenir une véritable formation professionnelle. Cette transformation est lente et suit un rythme différent selon les bassins miniers. Plus encore que les lois scolaires, c'est l'essor du salaire du mineur qui ne fait plus apparaître comme indispensable le complément apporté par les enfants au salaire familial qui apparaît comme le moteur des transformations. L'Alsace apparaît comme un bon terrain d'investigation sur ce thème (M.-N. Denis). L'industrie textile emploie jusqu'à 30% d'enfants vers 1840. Les milieux industriels alsaciens, à l'origine de la loi de 1841 sur le travail des enfants, restent pourtant longtemps attachés à cette main d'œuvre, y compris après l'annexion de 1871. L. Michaux analyse les ruptures et les continuités introduites en Moselle annexée entre 1871 et 1914 sur le thème du travail des enfants. Cependant, le lien avec l'enseignement technique ou l'apprentissage apparaît dans ces deux derniers articles assez ténu.

Enfin, une dernière partie est consacrée à l'enseignement agricole. E. Kocher-Marboeuf évoque le personnage de Pierre Dornic (1864-1933), personnage central de l'industrie agricole du beurre dont il accompagne le développement comme conseiller technique des coopératives et inspecteur des laiteries. Fortement marqué au début de sa carrière par les exemples suisse, allemand et danois, il conceptualise plusieurs instruments de mesure du lait, comme l'acidimètre Dornic, participe à l'amélioration radicale des transports de beurre par l'utilisation de wagons réfrigérés (avec une usine à glace construite à Sugères en 1910), créé un puissant instrument d'information du secteur avec la revue L'industrie du beurre. C'est sous son action que les beurres du centre ouest (et notamment Echiré) tiennent le haut du pavé. Il obtient du Ministère de l'agriculture la création de l'École professionnelle de laiterie à Surgères (Charentes - 1905) dont l'École Nationale de l'Industrie Laitière et des Industries Alimentaires (ENILIA) est la descendante directe. Pierre Dornic avait été formé à l'école d'agriculture de Grignon, l'objet de l'article de F. Delfour, depuis sa création en 1826 jusqu'en 1918. Cette école, d'abord établissement privé, est ensuite passée sous tutelle de l'État, notamment après le décret d'octobre 1848 qui organise l'enseignement professionnel agricole et dont elle constitue une des trois écoles de degré moyen en France. L'auteur insiste sur la question du recrutement des élèves et sur les débats relatifs au niveau de l'enseignement qui doit y être dispensé, ainsi que de sa place à l'échelle nationale de Grignon vis-à-vis des autres écoles nationales d'agriculture (Rennes et Montpellier) ainsi que l'Institut national d'agronomie.

P. Vigreux, enfin, analyse les origines de l'École nationale des industries agricoles et alimentaires de Massy (Essonne). Créée en 1893 sous le nom d'Ecole des industries agricole, elle se distingue de ses devancières (comme l'École de Sucrerie de Brunswick en Allemagne ou l'École nationale d'industrie laitière de Marmirolle dans le Doubs) par l'ambition d'instaurer un enseignement embrassant l'ensemble des techniques de transformation des produits agricoles en produits alimentaires. Initiée par l'industrie sucrière, installée d'abord à Douai (Nord), elle se concentre d'abord sur l'enseignement de la sucrerie, de la distillerie et de la brasserie-malterie. Les aléas conjoncturels, et plus particulièrement le moindre dynamisme de l'industrie sucrière puis la Première Guerre mondiale et ses conséquences, font que les enseignements évoluent dans le sens de la diversification. La Seconde Guerre mondiale voit le transfert de l'école à Paris et joue un rôle majeur dans l'unité des indsutries agricoles et alimentaires puisque les enseignements sont étendus à l'ensemble des filières. L'école, dont la dimension internationale s'ouvre après la libération (orientation franco-belge puis européenne), prend en compte l'enseignement du génie des procédés alimentaires, développé alors surtout par le Massachussetts Institut of Technology (MIT).

En somme, l'ouvrage dirigé par Thérèse Charmasson apporte de nombreux renseignements sur des thèmes dont on avait jusqu'à présent qu'une idée générale, une vision "d'en haut", en quelque sorte. Il permet d'observer des situations sur tout ce qui touche la formation au travail dans des espaces très variés, à des échelles différentes tout en réfléchissant sur leur emboîtement. Sans doute quelques réserves peuvent-elles être avancées sur l'organisation générale du livre dont les différentes parties ne semblent pas s'individualiser de manière claire et nette. Quelle différence réelle peut-on déceler entre la première partie sur les perspectives nationales et régionales de l'enseignement technique, et la seconde sur les perspectives locales, quand cette dernière utilise très largement les différentes échelles d'analyse ? De même, la troisième partie consacrée à l'apprentissage et au travail des enfants apparaît assez hétérogène tandis que deux communications n'évoquent pas directement les questions de formation. Peut-être, comme la coordinatrice de l'ouvrage l'annonce d'ailleurs dans l'introduction, le livre aurait-il gagné à être organisé plus simplement, autour de trois grands thèmes : l'enseignement technique (y compris agricole), l'apprentissage et le travail des enfants. Mais cette petite remarque n'enlève rien à l'intérêt de ce livre, qui a le grand mérite de mettre en perspective différents types de formation au travail trop souvent considérés indépendamment les uns des autres.


NOTES

[1] Cf. un bilan historiographique à mi parcours disponible dans G. Bode et P. Savoie, "L'offre locale d'enseignement. Les formations techniques intermédiaires, XIX-XXe siècles," Histoire de l'éducation, no. 66 (mai 1995), pp. 109-112.


Nicolas Marty
Université de Perpignan-Via Domitia
nicomar@univ-perp.fr


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H-France Review Vol. 5 (August 2005), No. 86

ISSN 1553-9172


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