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H-France Review

H-France Review Vol. 6 (March 2006), No. 28

David Drake, French Intellectuals and Politics from the Dreyfus Affair to the Occupation. New York, Palgrave Macmillan, 2005, 214 pp. $69.95 U.S. (cl). ISBN 0-33-3778-12X.

Compte-rendu par Christophe Prochasson, EHESS (AHMOC).


Ce deuxième volume consacré par David Drake à l’histoire des intellectuels français (le précédent, publié chez le même éditeur, traitait de la période suivant la Deuxième Guerre mondiale) s’inscrit dans le sillage d’une historiographie traditionnelle qui rabat l’histoire des clercs sur celle de leurs engagements politiques.[1] Les ouvrages n’ont pas manqué en France, depuis une vingtaine d’années, qui ont narré avec plus ou moins de bonheur cette odyssée. Il s’en publie encore quelques-uns à destination d’un public toujours friand de lire les exploits passés de l’un des plus produits d’exportation française les plus prisés mais aujourd’hui en voie de normalisation.

L’ouvrage de Drake s’inscrit bel et bien dans cette veine. Il rendra des services aux étudiants qui y trouveront tout autant une histoire politique de la France du premier XXème siècle qu’une histoire des intellectuels, ramenée parfois à la portion congrue et un peu trop fascinée par quelques héros hypertrophiés (Zola, Romain Rolland, Péguy, Gide, Maurras, Brasillach ou Drieu la Rochelle). On regrettera l’absence des couches intermédiaires (pourquoi Sorel d’ailleurs, aussi intéressant fût-il, plus qu’un autre?) dont le rôle fut loin d’être nul dans cette aventure et qu’une approche différente, partant davantage des institutions ou des débats, eût pu mettre mieux en évidence.

Bien que correctement informé, le livre de Drake semble daté. Il ne tient pas assez compte des développements les plus récents de l’historiographie des intellectuels et ignore curieusement des ouvrages britanniques ou américains (par exemple, le très intéressant ouvrage de Venita Datta ou les travaux de Jeremy Jennings), au profit d’ouvrages français qui, s'ils eurent quelque écho, n'en constituent pas des points incontournables de l'historiographie des intellectuels.[2]

L'historiographie des intellectuels s'est en effet récemment développée vers d'autres horizons qui n'ont naturellement pas coupé tous les ponts avec l'histoire : il n'est que de songer aux nombreuses études récentes ayant trait à l'histoire des sciences ou à celle de l'art, l'une et l'autre très sous-représentées dans le livre de Drake. Il semble bien en effet que les problématiques issues de l’histoire politique et qui ont longtemps tiré l’histoire des intellectuels du côté de l’histoire de leurs engagements politiques aient épuisé leurs effets. C’est à nouveau frais qu’il conviendrait, en tout cas, de reprendre de telles questions.[3]

Ainsi en va-t-il par exemple de l’histoire de l’entre-deux-guerres qui pourrait s’enrichir utilement d’une histoire des formes de « démobilisation » comme y invitent, par exemple les travaux de John Horne.[4] Enfermer l’histoire politique des intellectuels de cette période dans les catégories de « pacifisme », de « communisme » ou de « fascisme » ne suffit plus. Médiocrement descriptives, puisqu’elles ne font que reprendre la terminologie de la période sans toujours l’interroger, elles n’aident pas à comprendre les processus d’adhésion et d’identification.

Il convient certes de prendre le livre de David Drake comme il se présente : un manuel synthétisant des connaissances. De ce point de vue, on ne contestera pas sa valeur en dépit de quelques regrettables retards bibliographiques. L’étudiant y apprendra beaucoup et y trouvera un savoir de base utile pour la suite de son parcours. D’autres ouvrages, plus ambitieux, compléteront son apprentissage dans un domaine historiographique qui demeure évidemment passionnant.[5]


NOTES

[1] David Duke, Intellectuals and Politics in Post-War France (New York: Palgrave Macmillan, 2002).

[2] Venita Datta, Birth of a National Icon. The Literary Avant-Garde and the Origins of the Intellectual in France (New York: SUNY Press, 1999) and Jeremy Jennings, Syndicalism in France: A Study of Ideas (New York: Palgrave Macmillan, 1990).

[3] Voir Christophe Prochasson, "Intellectuals as Actors: Image and Reality" in Jeremy Jennings (ed.), Intellectuals in Twentieth-Century France. Mandarins and Samurais (London: Macmillan, 1993) pp. 59-81 (version anglaise de l'article de revue n°13) et idem, "Histoire intellectuelle/histoire des intellectuels: le socialisme français au début du XXème siècle", Revue d'histoire moderne et contemporaine, 39, Juillet-Septembre 1992, pp. 423-448.

[4] John N. Horne, State, ed. Society and Mobilization in Europe during the First World War (Cambridge and New York: Cambridge University Press, 1997).

[5] Voir de plus Christophe Prochasson, "L'image sans le son: le petit théâtre des intellectuels français au XXème siècle", Modern & Contemporary France, 9/1, February 2001, pp. 55-69; idem, « Autour de l’histoire culturelle », Cahiers du Centre de Recherches Historiques, 31, avril 2003, pp. 7-12; et idem, « Sobre el concepto de intellectual », Historia contemporanea, 2003 (II), numero 27, pp. 799-811.


Christophe Prochasson
EHESS (AHMOC)
procha@ehess.fr


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H-France Review Vol. 6 (March 2006), No. 28

ISSN 1553-9172


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